Volume minimum de décantation primaire : une aberration ?

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Dans leur rapport de « mission d’évaluation de la procédure d’agrément » (voir notre précédente note sur le sujet en cliquant sur ce lien), les experts de  l’IGEDD (Inspection Générale de l’Environnement et du Dévéloppement Durable – anciennement Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable) et de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) ont cité parmi leurs onze recommandations, l’idée d’un volume minimum de décantation primaire et de stockage des boues.

L’idée est intéressante, puisque qu’elle permettrait de mettre un terme à d’inacceptables abus. En effet, certains dispositifs, qui ont réussi à décrocher un agrément ministériel, présentent des volumes de décantation primaires dérisoires par rapport à leur capacité de traitement officielle. Leurs volumes parfois n’atteignent même pas 100 litres/EH ! Les fréquences de vidange réelles de tels dispositifs, dont l’acheteur a rarement été informé au moment de la vente par le commercial concerné (ou par l’installateur, lui-même souvent berné), sont extrêmement élevées : jusqu’à 4, voire 6 fois par an. L’usager se retrouve alors confronté à des coûts de fonctionnement exorbitants. Un volume minimum de décantation primaire et de stockage de boues règlerait ce souci et, in fine, protègerait le consommateur.

Idée intéressante, donc. Sauf que lesdits experts ont repris, pour quantifier cette troisième recommandation, la suggestion de l’une des personnes interviewées. La suggestion faite est d’envisager les mêmes 3m3 de volume minimum que pour les fosses septiques (jusqu’à 5 EH);  et « par analogie à celui prévu pour le traitement primaire dans les filières traditionnelles » (SIC – Communauté d’Innovation Sociale), avec l’ajout d’un volume supplémentaire par EH au-delà. Et c’est là que le bât blesse douloureusement.

Un peu de sel sur la plaie : à défaut de chercher à définir une valeur adaptée par une approche technique et/ou scientifique, plusieurs acteurs de l’ANC souhaitent s’aligner sur cette solution de facilité. La question posée n’est plus de savoir quel serait le « bon » volume minimum, mais comment justifier les 3 m3.

Hélas ! Ce volume minimum de 3 m3 ne repose sur aucune donnée viable et aurait un impact budgétaire fortement négatif pour l’usager :

1- Origine des 3 m3 pour les fosses septiques toutes eaux : quelques années en arrière, il avait été calculé que, pour ne pas avoir à vidanger une fosse septique plus d’une fois tous les 4 ans (fréquence qui figurait dans l’ancien arrêté ministériel modifié du 6 mai 1996, abrogé en 2009), une fosse septique devait avoir un volume minimum de 3.000 litres pour un foyer de 5 personnes. Mais la fréquence de vidange de 4 ans ne figure plus dans la règlementation actuelle, quand le foyer moyen est plutôt de l’ordre de 3 personnes. Dès lors, un minimum de 3 m3 pour une fosse septique, si l’on y réfléchit, n’est plus guère approprié. D’autant moins que nos habitudes de consommation ont changé, de même que la composition des eaux usées domestiques à traiter.

2- La présence d’une recirculation des boues vers le décanteur primaire d’un dispositif d’ANC améliore le processus de digestion anaérobie, en limitant la septicité dans ce compartiment et en augmentant la dégradation de la pollution qui s’y trouve, abaissant ainsi la génération de boues, améliorant leur qualité et réduisant leur volume. Ce qui participe, entre autre, des nettes divergences entre fréquences de vidange réelles (reposant sur des centaines de mesures terrain) et fréquences de vidange théoriques (auxquelles se réfèrent les agréments). Il ne serait donc pas pertinent d’utiliser des données liées à des fosses septiques, pour élaborer des règles applicables aux filières intégrant une recirculation des boues vers le décanteur primaire.

3- Un surcoût significatif autant qu’injustifié : prenons les données du fabricant d’une micro-station qui est à 80% de ce volume minimum. Elle est agréée pour 6 EH, mais pour simplifier, imaginons qu’elle ne le soit que pour 5 EH.

  • Surcoût matière/main-d’œuvre pour les 20% supplémentaires de décantation primaire : 672 €TTC (TVA 20%)
  • Surcoût transport : 120 €TTC (moyenne nationale, toutes destinations confondues)
  • Surcoût installation : 168 €TTC
  • Surcoût total : 960 €TTC
  • Fréquence de vidange pour 3 personnes selon mesures/stats fabricant : 90 mois au lieu de 66 mois.
  • Nombre de vidanges en 20 ans : 2,67 au lieu de 3,64 à 222 €TTC (prix moyen relevé pour 2.400 litres).
  • Gain sur 20 ans : 215,34 €TTC, soit 10,77 €TTC/an

Temps de rentabilisation : 89 ans. Nos arrière-petits-enfants nous remercieront chaleureusement pour l’investissement.
Ce temps de rentabilisation diminuerait quelque peu en réhabilitation, avec une TVA à 10%, en passant à 82 ans « seulement ». Mais il serait pire en intégrant la capacité de traitement réelle de 6 EH, et non pas 5, de cette micro-station…

4- La vraie question : qui va payer ? Les fabricants vont peut-être rogner un peu plus encore sur leurs marges, histoire de faire passer la pilule en ces temps de crise – avec le risque d’en voir certains réduire d’autant leurs coûts, donc la qualité du produit et la qualité du service dont la législation voudrait qu’ils accompagnent leurs produits (explications à l’usager, traçabilité, SAV, disponibilité de contrats de maintenance et d’entretien etc.). Les terrassiers vont peut-être aussi faire un effort, pour accompagner leurs clients et les aider à valider leurs projets d’assainissement. Mais au bout de la chaîne, il y a l’usager, celui qui devra puiser au plus profond de son porte-monnaie pour régler les 3 m3 dont il n’a a priori pas besoin.

5- Et dans le cas de réhabilitations obligatoires (risque environnemental ou sanitaire avéré, vente immobilière,…), si l’usager ne peut plus payer pour un nouveau dispositif ANC, fera-t-il réellement les travaux, ou ne sera-t-il pas tenté par un discret renoncement, sur le mode “pas-vu-pas-pris” ?…

6- Questions subsidiaires : que faire des dispositifs qui ne sont pas pourvus d’une décantation primaire ? Annuler leurs agréments du jour au lendemain, parce qu’ils ne rentrent plus dans les cases d’une réglementation révisée ? Mieux encore : quid des futures technologies que des ingénieurs inspirés s’emploient à développer, cherchant à optimiser les performances épuratoires des dispositifs ANC qui pourraient nous équiper un jour et à en réduire la pollution résiduelle ? Ces inventions resteront-elles dans un tiroir, sous prétexte qu’elles n’affichent pas un volume de décantation primaire de 3 m3 ? Danger, frein à l’innovation !

 

Alors plutôt que d’envisager un volume minimum abusif, pourquoi ne pas simplement se baser sur un temps de séjour de 3 jours, dont la cohérence est admise par beaucoup ?

Ou, mieux encore, puisque le problème semble être avant tout lié au manque d’information de l’usager avant l’achat, pourquoi ne pas opter pour une simple classification clairement affichée (similaire à ce qui se fait pour les appareils électroménagers), qui serait basée sur les deux indicateurs objectifs et fiables que sont, d’une part, le volume de stockage de boues, et d’autre part, le nombre de vidanges réalisées pendant les essais de type initiaux ? Libre à l’usager d’acquérir ensuite le dispositif ANC qu’il souhaite, en toute connaissance de cause.

Alors, le volume minimum en ANC, une aberration ? Une ceinture est utile, des bretelles peuvent s’avérer une bonne précaution supplémentaire, mais le parachute ensuite coûterait cher. – Heureusement que si un tel projet devait voir le jour, ce ne serait pas le cas avant plusieurs années, processus administratif oblige, ce qui nous laisse le temps d’y réfléchir posément. Sans oublier que plusieurs « Zulassungen » (homologations) du DIBt allemand (Institut Allemand d’Ingénierie Structurelle) viennent d’être remises en cause par les instances européennes pour raison d’entrave à la libre circulation des biens ; partant, la notion-même de volume minimum en ANC risque d’être rapidement contestée à Bruxelles…

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